lundi 29 juin 2015

L'ouverture de la porte du paradis



Extraits de :
« Les verbes prophétiques, Une introduction philosophique et mystique », Traductions, annotations, exégèses et commentaires de Riyad DOOKHY. (2012-2015)
© Riyad Dookhy








1 (III-1)

آتـِي بَـابَ الـْجَـنًّـةِ يَـوْمَ الـقِـيَامَـةِ فَــأَسْـتَـفْـتِــحُ , فَـيَـقُـولُ الْخَــازِنُ : مَـنْ أَنْـتَ ؟ فَــأَقُـولُ: "مُحَـمَّـدٌ" , فَيَقُــولُ : بِـكَ أُمِـرْتُ أَلاَّ أَفْـتَـحَ لِأَحَـدٍ قَـبْلَكَ.
 (رواه أحمد عن أنس )


J’atteindrai la porte du Jardin le jour de l’Éveil, et je demanderai à ce qu’elle soit ouverte.
Le Dépositaire m’interrogera : « Qui es-tu ? »
Je répondrai : « le Porteur de Louange (« mu-ham-madun ») ».
Et il dira : « Je fus ordonné à n’ouvrir que par ce que tu représentes et à nul autre qui n’atteint pas cette hauteur ».



[Le logos anagogique] : 

Je suis parvenu devant le seuil de l’Absolu en ses merveilles dans la pré-temporalité de l’Éveil, et je m’emploie désormais à ouvrir la voie aux autres. La Conscience théo-anthropomorphique m’interrogeait : « As-tu su qui Tu étais ?» Je répondrai : « Moi le dépositaire de l’Anthropos Parfait louangé ». La Conscience me répondra : « C'est dans l’atteinte de cette perfection que l’ère du Paradis s’ouvre, car cette porte ne peut s’ouvrir à quiconque qui ne l’aurait pas su. Elle indique l’heure de la fin des temps, c'est-à-dire l’heure de l’éternité, le propre de l’heure de la Conscience, l’heure, enfin, de l’Instant-présent ». (J’indiquerai alors mon nom, le nom des Hommes, comme Anthropos-porteur du secret de Dieu (louange), comme « le Porteur du « Hamd », « Mu-ham-madun », en tant que forme humaine, le Manifesté du Non-Manifeste).

Et il dira : « Par ce secret divin nous ouvrons aux humains qui en sont porteurs  - ou plutôt ce sont les humains qui en sont investis pour entrer dans le royaume de l’Absolu. La Porte est encore inconnue pour le Voyageur qui ne s'est pas élevé à la hauteur de lui-même pour en goûter aux secrets de Sa Perfection en lui-même ».


[La lecture littérale] : 

J’arriverai le jour du jugement devant la porte du paradis, et je demanderai à ce qu’elle soit ouverte. Le Gardien m’interrogera : « Qui es-tu ? ». Je répondrai : « Mahomet ». Il dira : « J’était ordonné à n’ouvrir à personne avant toi ».


Notes et références :

Sur « ja-nnat » (« الجنة») , v. notre lexique.




Exégèse et commentaires


Le but du voyage


Ce verbe prophétique exprime le but du voyage de l'homme. C'est la réponse à la question coranique : « A-lastu bi rabbikum » (Ne suis-je pas ton [votre] Seigneur[s] ?  - Coran 7, 172) adressée à chaque homme et femme dans la prééternité dans sa singularité irréductible.

La temporalité du voyage


La temporalité en question est celle d’un archi-événement, c'est-à-dire d’un événement qui ne se dit pas à l’intérieur du temps. L’instant peut être vu comme hors-temps. Certes, dans sa forme narrative, il est question d’un accès de l’homme au paradis. L’accès présuppose une temporalité propre, c'est-à-dire une temporalité linéaire. Mais, la forme narrative renvoie à un au-delà temporel.

De même, dans sa narrativité, il est question d'un itinéraire pour arriver devant la porte du paradis. L’itinéraire se veut eschatologie σχατος », extrémité, dernier, « آخرة ») et apocalypse (« ἀποκάλυψις », révélation divine, dévoilement). Le jour de l’éveil, la « qiyâmat », la mise en posture debout, signifie l’éveil de soi, la réalisation d’un but.

Le patronyme comme réponse


Le nom de « mohammad », s’il est historiquement personnifié en la personne du Prophète (le Mahomet historique), se dévoile dans ce verbe prophétique. C'est le sens de l’apocalypse (révélation) comme fin du monde. La syntaxe se délite pour se révéler. Il est question alors du « porteur » ou du « récipient » de la « louange » divine. Le patronyme devient la réponse à une interrogation de l’être – « Qui es-tu ? ». 

Le gardien (« khâzin ») - voir plus loin sur ce terme - rappelle l’homme que le paradis se fait par la « possibilité » de réponse, tel le Sphinx qui aura posé, en un autre temps, cette même question existentielle.

La réponse se révèle contraire à toutes nos croyances religieuses : « je porte la louange de dieu » (« mo-ham-ma-dûn »), tel l’« Ana-l Haqq » du célèbre Mansur al-Hallaj (858-922). Au-delà de la formule linguistique, il s’agit d'un trajet (d'où l’itinéraire) que chaque personne doit accomplir pour découvrir la raison, le sens et la réalisation de cette louange.

Le gardien


Il nous faut comprendre le sens d’un « dépositaire » ou d’un gardien (l’épiscope, «ἐπίσκοπος»). Le « khâzin » du Paradis, c'est dans un premier temps, le gardien qui garde un fonds. C'est ici la sauvegarde de toute l’expérience humaine, des vécus et des dévoilements, c'est-à-dire des trésors incommensurables.

Toutefois, dans un deuxième temps, c'est un gardien qui ne garde rien, et qui n’aura rien sur lequel veiller. Car, pour le dire schématiquement, n’y entre que celui qui est capable d’y entrer. « L’âme pécheresse », pour ainsi dire, même si elle était admise au paradis, y « brûlerait », pour employer des métaphores traditionnelles, tel un poisson qui ne pourrait survivre dans un jardin magnifique. L’état de l’âme est lié comme condition de possibilité même de l’entrée dans un nouveau royaume. Dans cette perspective, le gardien devient non un personnage étranger, mais l’âme même qui parle à soi. Dès lors que l’âme n’aurait pas atteint le « hamd », son noyau, l’ « Imago dei », elle ne saurait bénéficier de la béatitude éternelle.

C'est ainsi que le gardien n’ouvre qu’au nom de l’âme qui révèle son nom comme « hamd », d’un « mîm » de « Mo-hamd- mad » (Mahomet), exprimant plus que jamais le sens grammatical du « porteur ». Chaque âme est convoquée à la révélation de la louange qu’elle porte mais qu’il lui appartient d’actualiser au sens d’une apocalypse et d'une eschatologie.

Le sens de la louange


La louange est un « summum » possible de l’existence et de l’au-delà de l’être. Elle exprime la rencontre de la puissance et le devenir comme actualisés dans leur perfection ultime. Conceptuellement, il n’existe pas de transcendance possible à la louange. Celle-ci exprime l’idée d'une perfection immanente qui ne peut entrer en dialectique avec un Autre et avec une autre réalité, car dans ce dernier cas, il y aura encore un « devenir ». La louange exprime donc la complétude. Pour tout porteur de louange, même le dernier venu est le premier. Tout homme, selon qu’il porte cette louange, est un avant de la création tout comme un dernier et un après.

Le cri de l’humain


Dans la tradition chrétienne, Jésus dira : « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Apocalypse 22, 13).

Dans la tradition bouddhiste, le Bouddha explique : « Moi, qui ai traversé le fleuve, aide les autres à le traverser ».

Dans le verbe ici considéré, le Prophète laisse entendre : « Moi qui fait ouvrir le paradis en premier, je l’ouvre pour les autres ».

Nous avons un même type de rationalité dans ces paroles suprêmes et souveraines. C'est l’expression du premier et du dernier, de l’avant et de l’après, de l’Unique et du Tous. Or, c'est l’expression de l’Unique « pour » Tous, ou de l’Unique qui exprime le fait de tout un chacun. Ce qui est unique dans cette forme rhétorique, c'est qu’il appartient à tout le monde, dès lors qu’il incarne la divinité de sa voie religieuse. Le « Je » ou le « Moi » ici est celui de tout le monde qui s’incarne en soi.





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