dimanche 26 juillet 2015

Les trois registres du discours politique local




Riyad Dookhy, ‘Les trois registres du discours politique local’, Le Mauricien, Vendredi 17 septembre 2010 PROFIL DICTATORIAL (2) Les trois registres du discours politique local



A y voir de plus près, l'on note divers registres du "discourir démocratique public" dans le pays : d'un langage vulgaire au-dessous du seuil de la civilité, à un langage passionnel pour enfin emprunter celui revêtant des apparences du raisonnable et de l'analyse.
L'on peut ainsi dessiner trois sphères génériques de ce discours de façon sommaire. L'on est en mesure d'esquisser un parallèle entre ces registres du discours et les types de politiciens mauriciens. L'intérêt de cet exercice est de souligner que des registres du discours ne garantissent pas la santé politique de la République mauricienne.

Dans le parallèle entre registres du discours politique et types de politicien, l'on peut tracer ainsi trois figures d'hommes politiques. De manière simple, il existe un premier type de figure politicienne qui n'a pu se former qu'en haranguant un sentiment communal, qu'il va construire de façon fictive ou réelle d'un imaginaire mauricien crédule. Ce premier registre langagier détient son public propre, celui-ci étant plus occupé à se persuader du bien-fondé de ce genre de discours, qu'au lieu d'être un destinataire averti et rationnel. Le fond de ce discours s'articule sur deux plans essentiellement : un imaginaire construit et un espace de l'émotion publique. Le niveau de langue utilisé emprunte parfois une certaine vulgarité visant à construire des images mentales touchant un électorat plus sensible à l'imagerie caricaturale qu'à une discussion informée.

Un deuxième type de politiciens mitigerait volontiers ce discours vulgaire imagé, "communal" ou autre, tout en posant certains débats populaires. Il ne s'agit pourtant pas là d'un vrai débat, mais d'une simple apparence de débat. Ici il faut introduire une deuxième distinction entre un discours qui se prononce et s'entend, en réalité, sur deux niveaux : dans le verbe public, littéral, se lit un deuxième en filigrane, ayant son propre univers de sens. Au fait, il s'agit là d'un genre mitigé du premier type de figure politicienne. Ainsi, lorsqu'un Premier ministre ne sanctionne pas un ministre qui aurait entravé les valeurs de la République, on peut y lire un soutien en filigrane à son ministre et non un vrai débat.

Enfin, un troisième type de politiciens, mais peut-être moins fréquent, est celui qui pose le vrai débat et interpelle les vrais enjeux à discourir. C'est, l'on conviendrait, celui qui devrait vraiment occuper l'espace public mauricien. Ce sont des gens qui ont eu le courage et le mérite d'évoquer certains sujets essentiels dans la sphère publique, et ce parfois contre leur propre popularité. Ce fut peut-être des sujets tabous appelant de grandes discussions, des orientations sociales nécessaires, des principes anti-communautaristes, visant à instaurer une vraie démocratie, en vue d'une méritocratie réelle et institutionnelle, du respect et de l'intégrité de chaque citoyen, du parler vrai. Ce discours appartient au domaine du rationnel visant un public averti et instruit. Nous ne pouvons que regretter, ici, un certain manque de ces gens authentiquement engagés.

Il va sans dire que ce dont la société mauricienne a vraiment besoin c'est du troisième type de discours. Mais il ne faut surtout pas prendre ces trois registres de discours, avec en parallèle les figures politiciennes qui les accompagnent, comme un fatalisme mauricien. Il importe à la société civile de faire le choix, de favoriser et de condamner tel ou tel type de discours. Cette fonction de la société civile lui revient de droit. C'est en ce sens que la société civile peut reprendre son destin en main. Les citoyens doivent revendiquer un débat éclairé en tous points - pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d'œil aux séances parlementaires et de déterminer combien de questions posées reçoivent "réellement" une réponse : la responsabilité gouvernementale auprès de l'institution parlementaire est, à Maurice, caricaturale ; le "political accountability" westminstérien est, hélas, un jeu de mots dans la sphère nationale.
FIN
Riyad DOOKHY
(Avocat à Londres, et chercheur au Centre de Recherche Carré de Malberg, France)


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