Riyad Dookhy (Dr) (et als), « Messianisme,
souveraineté et sécularisation », Presses Universitaire de Strasbourg, Les
cahiers philosophiques de Strasbourg, 2015
ENTRETIEN DE RIYAD DOOKHY
(GERI) :
R. Dookhy : « ... Il m’apparaît
d'abord nécessaire de rappeler le sens d’une paganisation de l’espérance
constatée par Pierre Gire, (Penser l’expression religieuse), [...].
[...] Ma pensée sur
l'historialité vise une certaine temporalité que j'essaie d'expliquer. Bien
entendu, on pourra discuter ici la place de l'espérance, comme une certaine
traduction théologique.
[...] Gire,
lui-même décrit l’histoire de l’espérance, suite aux alliances israélites,
comme ayant été scindée en « espoir anthropocentrique » et
« espérance théocentrique ». Je pense que Gire pointe bien la
sécularisation de l’espérance. Le peuple israélite avait bien vécu cette
nécessité de projeter son avenir sur la terre. Comme le dit Gire :
« L’oubli de Dieu engendre la déification des œuvres humaines qui jamais
ne peuvent donner ce qu’elles promettent ». C'est ce qui explique la
dérive de l’espérance vers l’espoir. Mais il reste une conscience de
l’espérance originale théocentrique qui est elle-même ambiguë et équivoque, en
ce sens qu’elle implique une sécularisation (la venue d'un âge) et l’ère d’un
royaume du Ciel.
[...] L’espérance,
dans l’islam et ailleurs, sous-entend l’éthique et la connaissance spirituelle,
comme deux moyens qu’elle porte pour elle-même.
[…]
[...] Tant le Coran
que l’Ancien Testament nous laissent comprendre une vertu de l’espérance comme
perfection sur la terre. C’est la grande promesse faite à Abraham (à titre
d’exemple : Gen. 12, 2-3 ; 14, 14-18, et, Coran 6: 76-79)
[...] Certes,
l’espérance juive est essentiellement messianique même s’il faut distinguer un
messianisme réel (les biens messianique) et des messianismes personnels (le
Messie). L’espérance vise une plénitude de vie terrestre dans l’intimité de
« Yahvé » et le salut de l’au-delà. Le christianisme et l’islam, en
tant que monothéismes visant le salut de l’au-delà, sont d’emblée animés par
une même espérance. Le Messie (le Mahdi)
est la figure incarnée et ambiguë, car l’espérance se réalisera sur terre.
Celle-ci aura son mot à dire. Le Ciel n’aura de vie indépendante qu’avec ce que
la Terre lui aura légué.
[...] Si dans le
christianisme l’espérance s’ordonne en une compréhension triadique, les trois
principales vertus théologales, dans l’islam nous avons un mouvement dualiste
(« khâwf » et « rajâ »). Dans le
christianisme, c’est bien Saint Paul qui pose la fameuse triade théologale
: foi, espérance, charité. Dans l’islam, l’angoisse (« khâwf »)
et l’espérance (« rajâ ») sont deux stations (« maqâm »)
du cheminement du croyant. Selon certaines traditions historiques de certains
théologiens musulmans, tels le « Qūt al-qulūb » de
Baghdadi Abū Ṭālib al-Makkī and l’ « Iḥyāʾ ʿulūm al-dīn » d’al-Ghazālī,
ces stations succéderaient à la patience (« ṣabr ») et à la gratitude (« shukr ») alors
qu’elles précéderaient le dénuement ou la pauvreté (« faqr ») et la
renonciation (« zuhd »).
Je pense qu’on aura aucune difficulté à y voir comment ces auteurs ont pu, à
tort ou à raison, faire le lien de ce mouvement dualiste comme tant une
position que serait coranique (Coran 4, 104 et 79, 40) ou prophétique.
[...] L’angoisse
est un principe de négativité que j’avais traité ailleurs et qu’on retrouve
dans les écrits d’Iqbal (qu’on pourrait rapprocher avec la négativité au sein
du christianisme, exprimé comme par exemple par Dostoïevski – voir notre
travail là-dessus).
[...] « ʿAmal », selon Boer,
(« exécution, action ») serait employé par les théologiens
spéculatifs, en lien avec la foi ou avec « ʿilm » et « naẓar ». Pour
Gardet, et, selon un certain vocabulaire coranique et prophétique, il
s’opposerait à « naẓar », comme connaissance
spéculative. Il doit être distingué du « fiʿl », les actes. ʿAmal ressort du domaine
pratique de l’action morale. En tout état de cause nous avons alors une
traduction de l’espérance dans un vocabulaire propre en islam.
[...] ».
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