L’UNIVERSEL: Indignez-vous, version mauricienne
ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN | 17 NOVEMBRE, 2011 - 17:00 | PAR RIYAD DOOKHY
Le temps est peut-être venu de faire le procès de la mondialisation. Car
dans un rouleau-compresseur d’une pseudo-civilisation mondiale, la réelle
civilisation de l’humanité fut écartée. La singularité des peuples est élaguée
au profit d'une standardisation factice aux fondements douteux. L’idéologie du
libre échange ne peut que favoriser les grands (car il n'y a rien à perdre sauf
à conquérir un marché de plus), alors que les petits voient l’éclipse jusqu'à
la disparition de leurs marchés (donc cause de la pauvreté). La mondialisation
s'est révélée dans sa dynamique réelle comme cause de disparité et d’écart
entre pauvres et riches. À notre façon, nous y voyons encore une prémisse pour
l’indignation, aujourd'hui devenue courant mondial d’une altermondialisation.
Mais le procès de la mondialisation se joue aussi, pour nous, ailleurs, tout
comme le procès s’appelle à Maurice à sa façon.
Si, comme Stéphane Hessel et Edgar Morin (pour qui il faut « prendre
conscience que la mondialisation constitue à la fois le meilleur et le pire de
ce qui a pu advenir à l'humanité »), nous prônons une démondialisation
nécessaire et urgente, c’est pour que le monde, tout comme ses divers peuples,
retrouvent leurs progrès propres. Le capitalisme anglo-saxon, le producteur de
l’idéologie marchande de la mondialisation, ne peut jamais faire office de
civilisation (ni d’ailleurs comme le prétendait le socio-communisme
russo-chinois). Le capitalisme ne peut que s’alimenter des sociétés toujours en
déséquilibre qui jamais ne s’harmoniseront et s’égaleront et ne pourraient que
favoriser certains pays riches et superpuissants uniquement. Il ne peut aboutir
qu’à un appel d’empire, à un néocolonialisme obligatoire, comme élément
régulateur par une superpuissance nécessaire et irréductible en amont, comme
condition de possibilité même du capitalisme, aujourd'hui assurée par la
présence américaine. C'est ce à quoi s’achemine la notion de l’ « international
». Ceci est structurellement à l’encontre d’une vision métaphysique de
l’humanité qui entre dans un projet de lui-même, c'est-à-dire ce à quoi
s’achemine la notion de l’ « universalisme ».
Droits « universels » et non « internationaux »
Beaucoup ont dénoncé ce mal
insoupçonné, dont Jacques Attali. Hessel soulignera la bataille de René Cassin
pour des droits « universels » et non « internationaux ». Le vocable «
international » était proposé par les anglo-saxons lors de la rédaction de la
Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par les Nations unies. Les droits de l'homme, liés aux efforts de
René Cassin, militaient, au sortir de l’holocauste, comme il le disait lui-même
si fort bien, pour les « droits des hommes, et de tous les hommes », sans
condition d’une configuration des puissances qui structurent le jeu et comme
échappant à celles-ci. Dès lors, les droits de l'homme constituent un pas vers
l’universel et non vers l’international, suite à un motif d’indignation, dont
Stéphane Hessel fut partie.
Le motif de l’indignation tient, ajouterons-nous encore aux pages d’Hessel,
comme posture d’indignation tant interne qu’externe. L’indignation mauricienne
s’annonce, non pas uniquement devant un tsunami de l’international, devant un
débordement d’une certaine humanité marchande pervertie, et en excès
d’asservissement du monde à soi, mais devant une fuite du réel de l’humain
venant de soi-même, de l’intérieur, d’une néantisation même de Maurice par
elle-même. C'est le processus dénégateur d’une société mauricienne qui devait
aujourd'hui advenir à soi mais qui est aujourd'hui caractérisée par la
corruption, par l’abdication de la société civile, par un monde politique
dégénéré et acculé tenant en captivité un destin. La politisation de notre cité
se révèle visiblement sans éthique, tout en évacuant les fonctions politiques
et ses différentes nominations de leur réel « politikon ». À ne considérer que le dysfonctionnement en
jeu, rien ne nous distingue des sociétés qui ont sombré dans l’abîme, tel le
Congo, la Somalie, où la guerre confisque et prime sur le droit d’avoir faim
dans la paix, où l’indignation est depuis longtemps morte. Chez nous, la
perversité politique prime sur le droit du développement réel, l’illusion est
la marque de notre futur creux et sans horizon. Notre indignation ne peut
débuter que par une désidéologisation également urgente et nécessaire pour
retrouver les fondements de ce qui nous structure.
Le peuple authentique
Le motif de la Résistance hessellienne était l’indignation devant la
démission des responsables politiques, économiques et intellectuels face à une
dictature de la contingence. C’était en vue de tracer une autre vision de
l’histoire. Les motifs de l’indignation à la mauricienne ne manquent pas, et
excèdent de toutes parts. Simplement il nous manque la bravoure et l’éthique de
notre peuple pour rappeler les vraies valeurs qui nous font « nous ». Il nous
manque la capacité de scruter l’horizon d’un soleil levant qui portera l’appel
à l’encontre du mensonge institué, l’horizon des valeurs où l’homme politique
arrive à remplir son rôle véritable. Or, chaque citoyen est capable de voir
au-delà des perversités institutionnalisées. Il lui faut en faire état afin que
chacun soit reconnu dans ses droits et non dans des préjugés négateurs et
institutionnalisés.
L’indignation, c'est l’annonce d’un peuple qui advient à l’horizon brumeux.
Le peuple authentique ne peut que chercher l’universel, si a fortiori il est
lui-même composé de plusieurs ethnies, de plusieurs « pré-cultures » tout en se
tenant au carrefour de plusieurs « pré-récits », comme c'est le cas pour le peuple
mauricien. Le peuple qui advient ne pourra être que celui qui a su écouter le
fond de l’humanité pour entendre ce qui y résonne. C'est ce dont Maurice devait
être le pionnier pour être le sol sur lequel celui-ci s’accomplit. Mais pour
autant que ce fut un futur nostalgique nié, un Abel qui fut assassiné par un
Caïn venu sans s’annoncer, (car étant un futur qui n’advient pas, il s’inscrit
dans l’ordre de la nostalgie dans ce qui ne fut pas, ou n’est plus, voire ne
sera pas), nous le réclamons.
Cette bravoure et cette éthique commencent, et non des moindres, par une
simple indignation. La valeur d’un peuple se tient justement ici. Mauriciens,
les motifs d’indignation, c’est à chacun de les voir. L’indignation, en fait,
n'est-il pas alors qu’un rappel de la conscience aux fins fonds de nous-mêmes,
un réveil face à l’assoupissement, un rappel à soi ? Maurice n’est-il pas enfin
le meilleur et le pire de ce qui a pu advenir aux mauriciens ?
NB : Les deux livres de Stéphane Hessel vendus à des millions d’exemplaires
: Stéphane Hessel, “Indignez Vous”, éditions de ceux qui marchent contre le
vent, Indigènes éditions, 2011 ; Stéphane Hessel, Edgar Morin, “Le chemin de
l’espérance”, Fayard, 2011. Nous ne pouvons que les soutenir, ainsi que le
philosophe tunisien Youssef Sedik.
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