dimanche 26 juillet 2015

L’UNIVERSEL: Indignez-vous, version mauricienne






L’UNIVERSEL: Indignez-vous, version mauricienne

ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN | 17 NOVEMBRE, 2011 - 17:00 | PAR RIYAD DOOKHY


Le temps est peut-être venu de faire le procès de la mondialisation. Car dans un rouleau-compresseur d’une pseudo-civilisation mondiale, la réelle civilisation de l’humanité fut écartée. La singularité des peuples est élaguée au profit d'une standardisation factice aux fondements douteux. L’idéologie du libre échange ne peut que favoriser les grands (car il n'y a rien à perdre sauf à conquérir un marché de plus), alors que les petits voient l’éclipse jusqu'à la disparition de leurs marchés (donc cause de la pauvreté). La mondialisation s'est révélée dans sa dynamique réelle comme cause de disparité et d’écart entre pauvres et riches. À notre façon, nous y voyons encore une prémisse pour l’indignation, aujourd'hui devenue courant mondial d’une altermondialisation. Mais le procès de la mondialisation se joue aussi, pour nous, ailleurs, tout comme le procès s’appelle à Maurice à sa façon.

Si, comme Stéphane Hessel et Edgar Morin (pour qui il faut « prendre conscience que la mondialisation constitue à la fois le meilleur et le pire de ce qui a pu advenir à l'humanité »), nous prônons une démondialisation nécessaire et urgente, c’est pour que le monde, tout comme ses divers peuples, retrouvent leurs progrès propres. Le capitalisme anglo-saxon, le producteur de l’idéologie marchande de la mondialisation, ne peut jamais faire office de civilisation (ni d’ailleurs comme le prétendait le socio-communisme russo-chinois). Le capitalisme ne peut que s’alimenter des sociétés toujours en déséquilibre qui jamais ne s’harmoniseront et s’égaleront et ne pourraient que favoriser certains pays riches et superpuissants uniquement. Il ne peut aboutir qu’à un appel d’empire, à un néocolonialisme obligatoire, comme élément régulateur par une superpuissance nécessaire et irréductible en amont, comme condition de possibilité même du capitalisme, aujourd'hui assurée par la présence américaine. C'est ce à quoi s’achemine la notion de l’ « international ». Ceci est structurellement à l’encontre d’une vision métaphysique de l’humanité qui entre dans un projet de lui-même, c'est-à-dire ce à quoi s’achemine la notion de l’ « universalisme ».

Droits « universels » et non « internationaux »

 Beaucoup ont dénoncé ce mal insoupçonné, dont Jacques Attali. Hessel soulignera la bataille de René Cassin pour des droits « universels » et non « internationaux ». Le vocable « international » était proposé par les anglo-saxons lors de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par les Nations unies.  Les droits de l'homme, liés aux efforts de René Cassin, militaient, au sortir de l’holocauste, comme il le disait lui-même si fort bien, pour les « droits des hommes, et de tous les hommes », sans condition d’une configuration des puissances qui structurent le jeu et comme échappant à celles-ci. Dès lors, les droits de l'homme constituent un pas vers l’universel et non vers l’international, suite à un motif d’indignation, dont Stéphane Hessel fut partie.

Le motif de l’indignation tient, ajouterons-nous encore aux pages d’Hessel, comme posture d’indignation tant interne qu’externe. L’indignation mauricienne s’annonce, non pas uniquement devant un tsunami de l’international, devant un débordement d’une certaine humanité marchande pervertie, et en excès d’asservissement du monde à soi, mais devant une fuite du réel de l’humain venant de soi-même, de l’intérieur, d’une néantisation même de Maurice par elle-même. C'est le processus dénégateur d’une société mauricienne qui devait aujourd'hui advenir à soi mais qui est aujourd'hui caractérisée par la corruption, par l’abdication de la société civile, par un monde politique dégénéré et acculé tenant en captivité un destin. La politisation de notre cité se révèle visiblement sans éthique, tout en évacuant les fonctions politiques et ses différentes nominations de leur réel « politikon ».  À ne considérer que le dysfonctionnement en jeu, rien ne nous distingue des sociétés qui ont sombré dans l’abîme, tel le Congo, la Somalie, où la guerre confisque et prime sur le droit d’avoir faim dans la paix, où l’indignation est depuis longtemps morte. Chez nous, la perversité politique prime sur le droit du développement réel, l’illusion est la marque de notre futur creux et sans horizon. Notre indignation ne peut débuter que par une désidéologisation également urgente et nécessaire pour retrouver les fondements de ce qui nous structure.

Le peuple authentique


Le motif de la Résistance hessellienne était l’indignation devant la démission des responsables politiques, économiques et intellectuels face à une dictature de la contingence. C’était en vue de tracer une autre vision de l’histoire. Les motifs de l’indignation à la mauricienne ne manquent pas, et excèdent de toutes parts. Simplement il nous manque la bravoure et l’éthique de notre peuple pour rappeler les vraies valeurs qui nous font « nous ». Il nous manque la capacité de scruter l’horizon d’un soleil levant qui portera l’appel à l’encontre du mensonge institué, l’horizon des valeurs où l’homme politique arrive à remplir son rôle véritable. Or, chaque citoyen est capable de voir au-delà des perversités institutionnalisées. Il lui faut en faire état afin que chacun soit reconnu dans ses droits et non dans des préjugés négateurs et institutionnalisés.
L’indignation, c'est l’annonce d’un peuple qui advient à l’horizon brumeux. Le peuple authentique ne peut que chercher l’universel, si a fortiori il est lui-même composé de plusieurs ethnies, de plusieurs « pré-cultures » tout en se tenant au carrefour de plusieurs « pré-récits », comme c'est le cas pour le peuple mauricien. Le peuple qui advient ne pourra être que celui qui a su écouter le fond de l’humanité pour entendre ce qui y résonne. C'est ce dont Maurice devait être le pionnier pour être le sol sur lequel celui-ci s’accomplit. Mais pour autant que ce fut un futur nostalgique nié, un Abel qui fut assassiné par un Caïn venu sans s’annoncer, (car étant un futur qui n’advient pas, il s’inscrit dans l’ordre de la nostalgie dans ce qui ne fut pas, ou n’est plus, voire ne sera pas), nous le réclamons.

Cette bravoure et cette éthique commencent, et non des moindres, par une simple indignation. La valeur d’un peuple se tient justement ici. Mauriciens, les motifs d’indignation, c’est à chacun de les voir. L’indignation, en fait, n'est-il pas alors qu’un rappel de la conscience aux fins fonds de nous-mêmes, un réveil face à l’assoupissement, un rappel à soi ? Maurice n’est-il pas enfin le meilleur et le pire de ce qui a pu advenir aux mauriciens ?
NB : Les deux livres de Stéphane Hessel vendus à des millions d’exemplaires : Stéphane Hessel, “Indignez Vous”, éditions de ceux qui marchent contre le vent, Indigènes éditions, 2011 ; Stéphane Hessel, Edgar Morin, “Le chemin de l’espérance”, Fayard, 2011. Nous ne pouvons que les soutenir, ainsi que le philosophe tunisien Youssef Sedik.





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